jeudi 22 octobre 2009

Gisèle Braunschweig, 14/02/1922 - 20/10/2009


Gisèle, maman, toi aussi tu nous as quittés. Tu as survécu deux ans et demi à la mort de ton mari, mais il faut dire que ces derniers mois tu n'étais plus vraiment la même. Après nous avoir tous soutenus pendant tant d'années, c'est toi qui avais un besoin criant de notre soutien. Et c'est vrai que tu nous avais tant soutenus, de toutes tes forces, pendant si longtemps. Une vingtaine d'années à accompagner la fin de vie de mon père, le soignant, le calmant, le relevant, le supportant aussi et ce n'était pas toujours facile. Et pendant toute cette période, tu ne t'étais jamais plainte, acceptant pleinement la responsabilité de le maintenir debout alors que tu faiblissais toi-même petit à petit mais sans jamais le montrer. Auparavant, pendant une période bien plus longue, tu t'étais occupée sans failles de Fabienne et moi, lavant le linge, faisant la cuisine, nous prêtant ou nous donnant discrètement les sous dont tu n'avais jamais besoin pour toi-même.

Alors, depuis la mort de mon père, et plus encore depuis quelques mois, tu n'étais plus celle-là, tu n'étais plus la même. Bien sûr ta tête fonctionnait encore parfaitement, prenant avec philosophie et parfois avec un certain humour noir la décrépitude de ton corps. Et c'est toi qu'on avait à présent besoin de relever, de nourrir, d'aider moralement - à quel point cela a été important quand tu es passée tout près de la fin suite à ta grande opération à cœur ouvert de juillet 2007, peu après le décès de Jean. Et tu finissais à chaque fois par retrouver cette féroce volonté de vivre qui t'a permis de tenir jusqu'à plus de 87 ans alors que tout à l'intérieur se dégradait.

Mais ces derniers jours le désir de vivre t'avait quitté. Tu disais, d'abord à nous puis à qui voulait bien l'entendre, que tu étais impatiente d'en finir car la souffrance physique était devenue insoutenable. Pour tous ceux qui t'ont vue dans ces derniers moments, et même si c'est difficile à admettre, c'est mieux ainsi. Nous n'en pouvions plus de te voir rongée par la douleur de cette saleté qui gagnait peu à peu du terrain en toi.

Il y a quelques jours, l'avant-dernière fois que je suis venu te voir, et sentant que l'inéluctable était proche, je t'avais questionnée sur la manière dont tu voyais ta vie, te retournant vers ton passé. Quelle joie d'entendre de ta part que tu considérais avoir eu une très bonne vie, de constater que tu pouvais faire abstraction des derniers moments pour souligner tout ce qu'il y avait eu de positif.

D'abord tu avais spontanément mentionné tes cinquante cinq années de mariage, heureuse d'avoir partagé les deux tiers de ton existence avec mon père. Tu étais fière d'avoir vécu un mariage de longue haleine, et franchement je n'avais pas imaginé que c'est ce que tu aurais mis en premier. Ensuite, en deuxième, les enfants. J'ose croire que Fabienne et moi t'avons apporté quelque satisfaction, même si évidemment il y a eu des grands doutes liés à la surdité de Fabienne et au côté un peu imprévisible de mon comportement dans la société.

En troisième, et c'est très fort pour moi, la musique. Quel plaisir tu prenais à écouter tous ces disques, et France Musiques, et à aller au concert ou à l'opéra. Ces instants, grands moments de bonheur que tu m'as fait partager et qui m'ont fait tel que je suis, comme toi, toujours une petite musique à fredonner dans la tête. Merci maman de m'avoir fait ce cadeau si précieux qu'est la passion pour la bonne musique, et je ne suis pas près de l'abandonner.

Et puis la lecture, tu devais en savoir des choses avec la quantité de bouquins de toutes sortes que tu avais lus, et encore récemment alors que ta vue avait tellement baissé que cela devenait un exercice particulièrement difficile et fatiguant.

Et tu m'as aussi dit la cuisine. Les dimanches de notre enfance étaient festifs avec le poulet, les tartes et gâteaux, le plateau de fromages, et tous ces plats que tu nous préparais en sachant que ce seraient des instants de bonne entente familiale. Comme mon père, tu adorais aller au restaurant, c'est quelque chose qui vous unissait et qui ne s'est jamais éteint. Que je suis heureux, rétrospectivement, d'avoir pu t'inviter au restaurant du Parc de Saint-Cloud à la fin de l'été, juste nous deux, pour un dernier moment d'insouciance gastronomique.

Je vais encore mentionner quelque chose que tu ne m'as pas citée, mais quand même: le jeu! Plein de jeux: le bridge, le scrabble, les mots croisés, les jeux télévisés, les jeux avec les plaques d'immatriculation sur la route, tu as quand même passé une bonne partie de ton temps libre à jouer, et ça aussi, tu nous l'as transmis à Fabienne et moi.

Si je dois retenir une de tes qualités plus que toutes les autres, c'est la fidélité. Fidélité à ton mari, à ta famille, à tes amis (Ady ton amie d'enfance peut en témoigner), fidélité jamais mise en défaut et qui était une des raisons pour lesquelles nous étions sûrs de pouvoir compter sur toi à chaque instant.

Alors adieu Maman, cela me déchire le cœur de te voir ainsi partie, mais je suis soulagé que tes souffrances n'aient pas duré plus longtemps. Ç'aurait été trop dur pour tout le monde. Je garderai des images de toi chantant des airs de Mozart, plaçant avec délice un nonuple avec un Z sur la lettre compte double, et pas les tristes images de la fin de ta vie que je vais m'empresser d'oublier.

Adieu maman, repose en paix. Nous t'aimons.